majorité extérieure et platonique qui n’avait pas mis fin à la tutelle jalouse que l’Impératrice exerçait au point de vue de la direction politique, qu’elle ne pouvait se résoudre à abandonner. C’était bien peu de chose que ces conciliabules où l’on appelait quelques amis restés dévoués à l’exil, mais ça servait à alimenter l’ambition d’une femme qui, cherchant à quelle héroïne se comparer, hésitait entre Marie-Thérèse et Sémiramis. S’abstraire, comme ce n’eût été que son devoir, lui eût semblé une abdication et elle ne s’y pouvait résigner.
À toute velléité d’indépendance, le Prince impérial était certain de s’entendre dire : « Tu es le maître, cela est certain, puisque tu es majeur, mais je n’en suis pas moins ta mère et je manquerais à mes devoirs, si… » Il écoutait, avec le flegme que son père lui avait légué, bouillonnant d’impatience, n’en laissant rien paraître et subissant jusqu’à épuisement ce qu’il appelait « les sermons de l’Impératrice ». Parfois celle-ci criait à l’aide et faisait venir Rouher à la rescousse. C’était une autre antienne : « Permettez, Monseigneur, au plus fidèle de vos serviteurs d’invoquer sa vieille expérience pour vous faire observer que… » Et de nouveau on le chapitrait et on lui démontrait ainsi qu’on ne lui laisserait d’autre initiative que celle qu’il enlèverait de force. Dans cette maison de Camden-Place, il était comme un oiseau en cage et chacun lui serinait la chanson qu’on voulait lui entendre chanter. Parfois il en fut énervé jusqu’aux larmes.
Toute indépendance lui était ravie, car sa situation matérielle n’était pas seulement médiocre ; elle était nulle. Il n’avait aucune fortune personnelle et, comme disent les bourgeois, « sa mère le tenait par l’argent ». Il était, il est vrai, défrayé de tout, avec deux chevaux de selle à l’écurie ; mais sa liste civile se composait d’une pension de six mille francs que l’Impératrice lui servait. Prétendre au trône de France, se créer des partisans, entretenir des relations et solder certaines complaisances avec cinq cents francs par mois, c’était dérisoire ; il le sentait, il en était offusqué dans son amour-propre et dans l’intérêt de sa cause.
Pourquoi l’Impératrice, qui, du reste, était plus dépensière que généreuse, le condamnait-elle à une portion si congrue qu’elle en était insuffisante ? Était-ce pour refréner les entraînements de la jeunesse, éviter les fredaines et