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À peine fut-il arrivé dans le Zoulouland, où l’armée anglaise opérait, que les journaux ultra-républicains de France annoncèrent que la faiblesse de sa constitution l’empêchait de faire campagne et que la dysenterie le retenait à l’ambulance. Il n’en était rien ; il faisait son service avec excès, recherchait le péril, guettait les occasions de se signaler et avait souvent témoigné d’une témérité que ses chefs avaient blâmée.

Le 1er juin 1879, il provoqua une reconnaissance sur le ravin de Warsin-Kraal ; six cavaliers commandés par le lieutenant Carrey l’accompagnèrent. Le détachement mit imprudemment pied à terre dans un bas-fond, au milieu d’un champ de cannes à sucre ; il y fut surpris par un parti de Zoulous qui, après avoir rampé à travers les herbes touffues, surgit à l’improviste ; on n’était pas en nombre ; les Anglais sautèrent en selle et disparurent. Le Prince impérial était de petite taille, et son cheval, très haut sur jambes, avait l’encolure élevée ; il ne put l’empoigner à la crinière ni à l’arçon ; il ne saisit que la fonte du côté montoir ; la courroie se rompit ; il tomba à la renverse, se remit debout. Son cheval était parti au galop. Il était seul, abandonné de ses compagnons ; il marcha aux nègres, déchargea sur eux les six coups de son revolver et tira son épée, qui avait appartenu à Napoléon Ier et qu’il considérait comme un gage de bonheur.

Le lendemain seulement on se mit à sa recherche ; on le retrouva couché sur le dos, face à l’ennemi, la poitrine percée de dix-huit coups de sagaie, l’œil droit arraché. Selon leur usage, les nègres du Zoulouland lui avaient ouvert le ventre. On le roula dans des couvertures militaires et on l’emporta. Les nègres ne se doutaient guère de la victime de choix qu’ils avaient immolée ; lorsqu’on le leur apprit, ils en furent désespérés. Le chef de la tribu à laquelle appartenaient les coureurs qui l’avaient mis à mort ne se consolait pas ; dans une de ses entrevues avec les officiers anglais, après qu’un traité eut terminé cette guerre, qui n’avait été qu’une dispute, il disait : « C’est un grand malheur pour moi qu’on ait tué ce fils d’empereur ; si nous avions connu sa qualité, nous l’aurions pris vivant ; j’en aurais eu soin, je l’aurais bien nourri et vous me l’auriez racheté très cher. »

Le Prince impérial est tombé bravement, sans reculer d’un pas, comme s’il se fût agi de sauver la France ; et