cependant il ne combattait que pour la plus misérable des querelles. En réalité, il est mort parce qu’il voulait réhabiliter, à tout prix, un nom calomnié. C’est vers le 20 juin que la nouvelle parvint en Europe ; l’impression fut profonde, bien plus qu’on ne pourra se le figurer, lorsqu’on lira ce récit. Le grand-duc de Bade, un des hommes les meilleurs, les plus pacifiques, les plus intelligents que j’aie connus, me fit appeler à Carlsruhe. Il avait souvent vu le Prince impérial, soit à Arenenberg, soit à la résidence de l’île de Mainau ; il avait causé avec lui et l’avait apprécié. Il m’en parla longuement, avec une émotion qui n’était point simulée. Ce n’était pas seulement ce brusque dénouement de tant de jeunesse et de tant d’espérance qui l’attristait, c’était la disparition d’un élément de force et d’énergie sur lequel avait compté la diplomatie européenne.
Je copie textuellement une partie de la note que j’ai prise à la suite de cet entretien, qui dura deux heures ; c’en est le résumé : « Le grand-duc considéra la mort du Prince impérial comme un événement de hautes conséquences, non seulement pour la France, mais pour l’état général de l’Europe ; dans les chancelleries et dans les conciliabules souverains, on le suivait des yeux, avec un intérêt dont l’empereur de Russie, lors de son dernier voyage en Angleterre, lui avait porté le témoignage, en quelque sorte, officiel ; on voyait en lui une réserve assurée pour l’avenir, pour un avenir prochain ; on le savait sage, réfléchi, respectueux, intelligent ; on avait confiance en lui et tous les Cabinets l’eussent accepté avec joie. » Au cours de la conversation, le grand-duc me montra un télégramme du prince de la Couronne, de celui qui fut l’empereur Frédéric III : « Cher ami, c’est cependant trop tragique ! »
Ernest Lavisse, qui avait été son professeur d’histoire et qui avait pour lui une affection de nourrice, m’écrivait : « Le noble enfant est une victime expiatoire de Sedan ; victime volontaire ; mais à qui profitera le sacrifice ? Tout le monde est profondément ému. J’ai vu pleurer quantité de gens et, après trois jours, les larmes coulent encore. Les députés de l’Appel au Peuple et tous ceux pour qui le bonapartisme est une carrière s’agitent dans le vide. Ils demandent une solution immédiate, pour avoir le droit de s’en plaindre et de chercher à se pourvoir. César — celui que vous appelez Tibère — n’ouvre les lèvres que pour dire qu’il