Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Brame[1], qui avait pris le portefeuille de l’Instruction publique. Initié aux délibérations secrètes du Conseil des ministres, ouvrant les dépêches, rédigeant la correspondance, il a tenu un journal de ce qu’il a pu remarquer à cette époque, et ce journal est sous mes yeux. Enfin j’allais, chaque jour, voir Piétri, qui était préfet de Police. Là j’étais au centre même des nouvelles et on ne me les laissait point ignorer.

J’avais connu J.-M. Piétri en 1867, dans des circonstances que je rappellerai brièvement. J’étais alors résolu à écrire l’histoire des administrations de Paris, à les démonter sous les yeux du public, comme un horloger démonte une horloge, pour en faire connaître le mécanisme. Je compris que si la préfecture de Police demeurait close pour moi, je n’avais qu’à renoncer à mon travail, qui serait incomplet et se réduirait à une sorte d’aperçu approximatif. Je me fis recommander à Piétri par le prince Napoléon et par Hortense Cornu. Je fus bien accueilli, j’expliquai mon projet et je fus écouté attentivement. Je ne réclamais que des documents administratifs ; car, sous aucun prétexte, je ne voulais jeter les yeux sur les rouages politiques, qui, par leur nature même, échappaient à mon travail. La réponse de Piétri fut celle-ci : « Je n’ai rien à cacher, je n’ai qu’à gagner à être divulgué ; la préfecture de Police vous est ouverte dès à présent et n’aura pas un secret pour vous. »

Ce n’était point parole banale ; j’ai eu tout en main, depuis les rapports sur l’approvisionnement des halles jusqu’aux dossier à classer dossiers mystérieux concernant des affaires de mœurs ou de familles tellement scandaleuses qu’on les étouffait, parce que la répression du scandale eût fait plus de mal que le scandale lui-même. Je puis dire que j’ai eu le secret de Paris ; j’ajouterai que nul ne s’en est jamais douté et que nul ne s’en doutera, car, même dans ces souvenirs posthumes qui ne peuvent parler que de gens morts depuis longtemps, je ne me suis permis aucune allusion aux faits que j’ai appris alors. J’eus souvent à m’entretenir avec Piétri, lorsque j’avais à obtenir l’autorisation, qui jamais ne me fut refusée, d’accompagner ses agents, pendant certaines expéditions dirigées contre des voleurs et contre des assassins ; je lui étais reconnaissant de la façon libérale dont il avait répondu à ma requête ; il me savait gré de ma réserve. Peu à peu, à des relations simple-

  1. Brame (Jules-Louis), 1808-1878. Député de l’opposition libérale au Corps législatif depuis 1857. (N. d. É.)