Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/61

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Un officier de l’État-Major du roi de Prusse a prétendu que, dressé sur ses étriers, il avait aperçu l’Empereur et le roi Guillaume penchés sur une carte et y traçant des lignes au crayon. Il concluait que, à ce moment précis, il avait été question d’un abandon de territoire et d’une modification de frontière. Le fait est possible, mais il me paraît invraisemblable. À toute invitation de traiter, Napoléon III

    dans cette situation, d’autant plus qu’il savait que l’Empereur ne s’était pas facilement décidé à la guerre.

    « Cette affirmation fit visiblement du bien à Napoléon, qui dit avec chaleur qu’il n’avait fait que céder à l’opinion publique.

    « Le Roi répondit : « Si l’opinion publique a pris cette tournure, c’est par la faute de vos conseillers », et, passant au véritable but de la visite, le Roi demanda à Napoléon s’il avait l’intention de négocier.

    « Napoléon répondit que non, en ajoutant que, maintenant qu’il était prisonnier, il n’avait aucune influence sur le gouvernement. « Maintenant où est ce gouvernement ? — À Paris. »

    « Le Roi dirigea alors l’entretien sur la situation personnelle de l’Empereur.

    « Napoléon accepta le séjour de Wilhelmshœhe et apprit avec satisfaction qu’on lui donnerait une escorte d’honneur jusqu’à la frontière. Quand, au cours de l’entretien, l’Empereur émit la supposition qu’il avait eu devant lui Frédéric-Charles, le Roi rectifia en disant qu’il n’avait eu que moi et le prince de Saxe. À la question où se trouvait Frédéric-Charles, le Roi répondit avec un accent particulier : « Avec sept corps devant Metz. » L’Empereur recula d’un pas, en faisant une grimace douloureuse ; il savait maintenant qu’il n’avait pas eu toute l’armée allemande devant lui. Le Roi fit l’éloge de l’armée française. Napoléon approuva volontiers, mais ajouta qu’elle manquait de cette discipline qui distinguait notre armée. Notre artillerie était la première du monde et les Français n’avaient pu y résister.

    « Après l’entrevue, qui dura un quart d’heure, ils sortirent : la haute taille du Roi paraissait encore plus grande à côté de la petitesse de l’Empereur, qui, m’apercevant, me tendit la main, tandis que de l’autre il séchait des grosses larmes qui coulaient le long de ses joues. Il exprima toute sa reconnaissance pour la générosité que lui avait témoignée le Roi. Je répondis dans le même sens et demandai s’il avait pu reposer un peu la nuit. Il répondit que l’inquiétude pour les siens lui avait enlevé tout sommeil.

    « Sur mon observation qu’il était regrettable que la guerre eût pris un caractère aussi sanglant, il dit que cela était d’autant plus terrible « lorsqu’on n’avait pas voulu la guerre ». Depuis huit jours il n’avait aucune nouvelle ni de l’Impératrice, ni du Prince impérial. Il demanda à leur télégraphier en chiffre ce qui fut accordé.

    « Nous nous séparâmes avec un shake-hand. Boyen et Lynar l’accompagnèrent. Son entourage en uniforme battant neuf lançait des regards sombres sur les nôtres qui avaient des uniformes ayant beaucoup souffert pendant la campagne. Après son départ, arriva un télégramme chiffré de l’Impératrice. Je le lui fis expédier par Seckendorff. On a des craintes que les résultats de la guerre ne répondent pas aux vœux légitimes du peuple allemand. »