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tains quartiers de Paris — peut-être même du camp de Saint-Maur où étaient les mobiles — jusqu’à la place de la Concorde. Il demanda que la séance n’eût pas lieu avant une heure de l’après-midi.

La majorité accepta la proposition, sans même se douter du péril qu’elle cachait, et satisfaite de voir reculer le moment où elle aurait à faire acte d’initiative et de responsabilité. Jules Favre ajouta que trente députés avaient signé une motion déclarant que : « Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie sont déchus du pouvoir que leur a conféré la Constitution ; que le Corps législatif nomme une commission investie de tous les pouvoirs du gouvernement ; que le général Trochu est maintenu dans les fonctions de gouverneur général de Paris. » Un seul député, Pinard[1], qui, pendant quelques mois, avait été ministre de l’Intérieur, protesta ; les autres, sans laisser préjuger leur opinion, crièrent : « À tantôt, à une heure ! » et la séance fut levée.

Malgré l’heure avancée de la nuit — plus de deux heures du matin, — Jules Brame courut aux Tuileries, vit le chambellan de service qui, je crois sans le certifier, était le comte de Brissac, le mit au courant de ce qui venait de se passer et l’adjura d’en avertir l’Impératrice le plus promptement possible. Brame avait senti la conséquence. Il ne s’agissait plus alors, pour les hommes de cœur — et Brame en était un au premier chef — d’imposer l’Empire, l’Empereur et l’Impératrice à la France ; il s’agissait de sauver le Corps législatif, c’est-à-dire un pouvoir régulier, officiellement issu de la nation, au nom de laquelle il pourrait légalement traiter de la paix ou continuer la guerre ; or réunir les députés à une heure seulement de l’après-midi, c’était les livrer aux brutalités de la population. Brame, en arrivant au Corps législatif, n’ignorait rien de ce qui avait été résolu rue de la Sourdière ; il n’avait donc aucun doute sur les projets dont la réalisation était prochaine. Si, au contraire, la séance avait lieu à neuf heures, par surprise pour ainsi dire, on avait le temps d’adopter des mesures qui mettraient la députation nationale à l’abri de toute atteinte, lui conserveraient son rôle gouvernemental et seraient un fait accompli que la population accepterait sans doute ; car elle arriverait trop

  1. Pinard (Pierre-Ernest), 1822-1909. Magistrat, conseiller d’État, ministre de l’Intérieur en 1867. (N. d. É.)