Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/80

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ministres avaient chargé Brame de préparer. On se trouvait en présence de deux propositions qui devaient être déposées à la prochaine séance de la Chambre, en admettant que celle-ci pût se réunir. L’une, soutenue et sans doute inspirée par Thiers, transférait simplement et sans conditions tous les pouvoirs au Corps législatif ; l’autre, libellée par Jules Favre, prononçait la déchéance et réservait la nomination d’un comité dont la mission eût été de continuer la guerre à outrance.

Le ministère savait, à n’en pouvoir douter, que la continuation de la lutte serait une héroïque folie qui n’apporterait que des aggravations au traité de paix que l’on serait forcé de subir. Mû par un sentiment de patriotisme, voulant sauver l’intégrité du territoire français, ne pas laisser épuiser des forces qu’il était de tout intérêt de reconstituer le plus tôt possible, mais faisant la part du feu, se pliant aux nécessités du moment et donnant une satisfaction aux passions populaires, il exigeait que l’on ouvrît immédiatement des négociations et sacrifiait la dynastie. Ce projet de décret qui, en somme, eût émané du ministère et dont j’ai le texte sous les yeux était ainsi conçu :

« Attendu que l’Empereur et le Prince impérial sont entre les mains de l’ennemi et n’ont plus leur liberté d’action, les pouvoirs de l’Impératrice cessent de plein droit. Un conseil exécutif est chargé de tous les pouvoirs, il est composé de cinq membres sous la présidence de M. Thiers. Il nomme les ministres et reçoit la mission de traiter sans délai avec le roi de Prusse, auquel une députation spéciale sera envoyée. »

On croyait encore que le Prince impérial avait été fait prisonnier avec son père. Dans la pensée du rédacteur de ce projet de décret, que l’on n’eut même pas à discuter, les membres du conseil exécutif — qui ressemblait singulièrement à la commission exécutive de 1848 — eussent été représentés par l’élément militaire, Trochu, et par les différentes opinions de la Chambre : Schneider, Jules Favre, Gambetta. Il est certain que le Corps législatif n’eût pas fait d’opposition à des hommes qui étaient comme un échantillon de toutes les nuances dont il était composé ; quant au Sénat, il se fût rallié, sans contestations sérieuses, car sa sagesse — ou son grand âge — lui faisait comprendre que la paix serait d’autant moins dure qu’elle serait plus rapide. Que serait-il sorti de cette combinaison in extremis, où quatre bavards intaris-