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THÉOPHILE GAUTIER.

dant mieux, Eugène Piot s’était dit que l’Espagne appauvrie, ravagée par une récente guerre civile, devait receler bien des objets de haut goût — armes, tapisseries, tableaux — qu’il serait facile d’acquérir à bon compte. S’il était sûr de lui pour tout ce qui était armure, ameublement, poteries rares, ivoires et bijoux précieux, il était — à cette époque, du moins — parfois hésitant en présence d’un tableau de l’école espagnole, mal représentée alors en France par les maîtres secondaires, malgré les galeries du maréchal Soult et du marquis de las Marismas. Il pensa qu’il lui serait utile d’avoir pour compagnon de route un homme rompu aux difficultés de la peinture, capable de discerner la manière de faire de Zurbaran de celle de fra Diego de Leyva, et il proposa à Théophile Gautier de venir parcourir avec lui le pays de Murillo, de Velasquez et de Ribeira. Gautier accepta ; il se fit remplacer à la Presse et partit avec l’énergie joyeuse d’un écolier qui sort de son lycée pour entrer en vacances.

Je dirai tout de suite que le but principal, entrevu par Eugène Piot, ne fut pas atteint ; « les tableaux que l’on pourrait acheter sont d’horribles croûtes, dont la meilleure ne se vendrait pas quinze francs chez un marchand de bric à brac » ; à Tolède, où l’on comptait « trouver quelques vieilles armes, dagues, poignards, colichemardes, espadons, rapières,… à Tolède il n’y a pas plus d’épées que de cuir à Cordoue ». Sous ce rapport, la déception fut complète. L’Espagne heureusement leur réservait des compen-