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LE VOYAGEUR.

sations qui consolèrent insuffisamment Eugène Piot de sa déconvenue, mais qui laissèrent à Gautier d’inaltérables souvenirs. Malgré les voyages qu’il lit plus tard, celui qui lui donne les impressions les plus profondes, qui lui reste le plus cher, celui dont il parla toujours avec prédilection, c’est celui qu’il commença au mois de mai et termina au mois d’octobre 1840, alors qu’il avait vingt-neuf ans, c’est-à-dire toute l’ardeur, toute la force de la jeunesse tempérée par la maturité qui s’annonce. Vingt-sept ans après, lorsque, selon l’expression de Montaigne, il était déjà « vieil et asséché », il a dit : « Je ne puis décrire l’enchantement où me jeta cette poétique et sauvage contrée, rêvée à travers les Contes d’Espagne et d’Italie d’Alfred de Musset et les Orientales d’Hugo ; je me sentis là sur mon vrai sol et comme dans une patrie retrouvée. Depuis, je n’eus pas d’autre idée que de ramasser quelque somme et de partir ; la passion ou la maladie du voyage s’était développée en moi. »

Ce voyage, dont le récit forme actuellement un volume Charpentier de 375 pages, est peut-être le livre le plus intéressant de Théophile Gautier, parce qu’il s’y montre tel qu’il est, sans réserve, avec la sincérité d’un honnête homme, avec la naïveté d’un poète qui ne se soucie guère des opinions reçues et qui dit ce qu’il pense, simplement parce qu’il le pense, comme un enfant qui se dévoile tout entier en racontant ses impressions. Nul paradoxe ; la note est toujours vraie ; si elle choque, c’est qu’elle n’est pas