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LE VOYAGEUR.

où j’emploie le plus souvent ma petite industrie. » C’est Saint-Amant, le poète de Rome ridicule et de Moïse sauvé, c’est Saint-Amant, gentilhomme verrier et gros buveur, qui a écrit cette phrase ; mais elle revient de droit à Gautier ; ne dirait-on pas qu’elle a été faite par lui, pour lui ? Sa « petite industrie » ne fut point de mince valeur, car elle a doté la littérature française d’un mode de description inconnu, ou du moins fort mal pratiqué jusqu’alors. Gautier apporte à l’art de décrire une précision réellement extraordinaire. Son expression ne s’égare jamais ; elle n’est ni indécise ni confuse ; elle n’est pas spéciale, elle ne veut pas être savante ; elle est juste, ce qui n’a l’air de rien et ce qui est le comble du talent ; le mot employé est si bien là où il doit être, il est approprié avec tant de sagacité, que nul autre ne le pourrait remplacer. Ce résultat semble obtenu sans effort, naturellement pour ainsi dire : c’est le tour de force des grands écrivains.

Cette netteté de la description, qui transmet au lecteur l’impression reçue par le voyageur, a été poussée, pour la première fois, par Théophile Gautier à un degré supérieur ; cette note lui est personnelle, car nul ne l’avait encore donnée si ample, et je dirai si persuasive ; on l’a imité, mais non pas égalé ; à cet égard il reste sans rival. Cela seul, en dehors de ses autres qualités, en fait un maître, car, par l’unique essor de son talent individuel, il a remplacé une forme stérile par une forme féconde qu’il a créée. Quel que soit le talent de ceux qui sont