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THÉOPHILE GAUTIER.

venus après lui et qui viendront, il reste l’initiateur. Si je ne craignais de paraître prétentieux, je dirais qu’en dédaignant les à peu près et les équivalents douteux, en saisissant l’objet même, en le mettant en relief, en le plaçant avec exactitude, selon la nature qui lui est propre, sous les yeux du lecteur, je dirais qu’il a inventé la probité descriptive. Quelle que soit l’admiration dont il est saisi et qu’il laisse déborder avec une sorte de joie intime, il ne dépasse jamais la mesure, car chez lui — j’insiste sur ce point — l’esprit de justice est très développé ; il en résulte que l’équité le domine toujours, lui interdit les écarts auxquels les artistes ne sont que trop enclins, et le maintient en dehors de toute exagération. Aussi je n’hésite pas à dire que les récits de voyage de Théophile Gautier me semblent supérieurs à ceux de Victor Hugo : on dirait que celui-ci ne regarde qu’à travers une loupe ; il voit gros ; à ses yeux tout devient énorme : les paysages, les monuments subissent des déformations qui parfois les rendent méconnaissables ; descendre ou remonter le cours du Rhin après avoir lu le livre de Victor Hugo, c’est s’exposer à une déception certaine ; l’ampleur des images, les magnificences du style ont dénaturé le paysage et diminué le fleuve, les ruines, les cathédrales à force de les vouloir grandir. Avec Théophile Gautier, il n’en est pas ainsi ; la concordance entre la description et l’objet décrit est absolue, ce qui, pour un récit de voyage, est la qualité maîtresse. Aussi je com-