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THÉOPHILE GAUTIER.

dût-elle disparaître dans un cataclysme, enlevée par la mer Adriatique qui aurait rompu la barrière des Murazzi, on la retrouverait sous la plume de Gautier. Ce qu’il avait fait pour Venise, il voulait le faire pour Florence, pour Rome, pour Naples, pour Pompéi qu’il eût, une seconde fois, déblayée des cendres du Vésuve. Ceci ne fut qu’un projet qu’il ne réalisa pas. Ce n’est point la bonne volonté qui lui manqua, ce fut le temps.

Il est difficile de comprendre qu’un des gouvernements sous lesquels Théophile Gautier a vécu, n’ait pas eu l’intelligence de tirer parti des facultés exceptionnelles de ce poète voyageur dont la véracité était si scrupuleuse. Pourquoi ne l’a-t-on pas détaché du feuilleton pour le lâcher sur le monde antique, sur l’Orient qui l’attirait et qu’il n’a pu qu’effleurer, car chacune de ses étapes se comptait par les pages de « copie « qu’il envoyait à son journal ; il évaluait les kilomètres par le nombre de lignes qu’ils lui coûtaient. Quels livres il eût rapportés d’Égypte, de Palestine, de Syrie, de Mésopotamie, de l’Hindoustan, de la Chine et du Japon. Nul n’y a pensé sans doute, dans « les hautes régions du pouvoir » ; nul ne s’est soucié d’accroître nos richesses littéraires, et comme Gautier n’était ni savantasse ni ennuyeux, on l’a dédaigné. La première vertu des hommes d’État doit être le discernement ; ceux qui auraient pu s’occuper de Gautier n’en avaient guère, car aucun d’eux n’a su reconnaître ses qualités éminentes. C’est au détriment des lettres françaises