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LE VOYAGEUR.

qu’on l’a laissé couché sur le lit de Procuste du rendu compte dramatique, où il lut toujours à l’étroit, où jamais il ne put s’étendre.

Je sais bien que Gautier avait de l’esprit, de l’imprévu, une originalité de bon aloi, une façon de dire irréprochable ; il n’en faut pas plus, mais il en faut autant, chez « le peuple le plus spirituel de la terre », pour n’être jamais considéré comme un homme sérieux : ah ! tu n’es pas un imbécile, eh bien ! tu n’es propre à rien ! Je dois ajouter, pour ne rien omettre, que le pourpoint rouge et les longs cheveux portés à la première représentation de Hernani ont pesé sur toute son existence, comme la Ballade à la Lune et le Point sur un i ont pesé sur celle d’Alfred de Musset.

En 1852, Gautier alla à Constantinople ; en 1858 en Russie ; ces deux voyages furent, comme les autres, faits à coups de « copie », au jour le jour, et il y eut parfois de terribles angoisses, quand le caissier du journal ou la poste était en retard. Lors de l’inauguration du canal de Suez, il s’embarqua pour l’Égypte, aux frais, cette fois, du Journal officiel. La malchance poursuivait le pauvre poète, qui se réjouissait d’aller saluer Abou-l’houl (le père de l’épouvante), c’est-à-dire le sphinx de Gyzeh, de gravir les Pyramides et de remonter le Nil jusqu’à Ibsamboul. À bord du Mœris, le bateau à vapeur qui le transportait à Alexandrie, il tomba et se brisa l’humérus du bras gauche. Il prit son parti avec une philosophie extérieure qui ne se démentit pas, mais le diable n’y