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THÉOPHILE GAUTIER.

et Malherbe et Balzac, et tous ces littérateurs difficiles à qui les fumées de la lampe nocturne engorgent le cerveau de suie et qui sont malades d’une strangurie de pensée. »

Sa facilité était telle, que rien n’y mettait obstacle ; il travaillait partout, au milieu du tapage, chez lui, tout en causant, dans la rue à travers les passants et les voitures. Rien ne le déroutait. C’est dans une imprimerie, secoué par les trépidations des presses à vapeur, malgré le brouhaha des ouvriers en mouvement, qu’il a écrit son volume d’Italia dont un prote coupait le manuscrit, sous sa plume même, dix lignes par dix lignes, afin d’accélérer la composition. L’on pourrait croire que cette faculté — très rare lorsqu’elle est poussée à ce point — est le résultat de l’habitude et qu’elle ne lui fut acquise que progressivement ; on se tromperait : il l’a possédée dès les heures de la jeunesse. On se rappelle qu’il a habité dans la rue du Doyenné, ce domaine de la Bohème galante auquel j’ai déjà fait allusion. Ses compagnons de chambrée, et les amis qui fréquentaient chez eux, tous jeunes, tumultueux, ne péchaient point par des habitudes de recueillement propices au travail ; c’est cependant là, dans l’atelier turbulent qui servait de salon de réception, de salle d’armes, de salle de boxe, de salle de bal, de salle à manger et d’école de cor de chasse, qu’il a écrit, en six semaines, le second volume de Mademoiselle de Maupin. C’était en 1835 ; il venait d’avoir vingt-quatre ans.