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LE CONTEUR.

Le livre parut ; quel tintamarre ! quel scandale ! on se voilait la face ; on disait : hélas ! se peut-il ? et on en appelait au bras séculier ; on criait à l’immoralité, à l’obscénité ; on n’osait guère avouer que l’on avait tenu en main ce volume de perdition, mais l’on s’en régalait sous le manteau et personne n’en mourut[1]. Aujourd’hui on en sourirait à peine, car le public des lecteurs ressemble actuellement à Mithridate : il a dégusté tant de poisons, il s’y est si bien accoutumé, que l’assa fœtida saupoudrée de strychnine lui semble fade. En somme, de quoi s’agissait-il ? d’une histoire quelque peu décevante, entrecoupée d’incidences où l’auteur exprime ses opinions, qu’il éclaire parfois de quelques fusées paradoxales. Une jeune fille fort belle s’habille en cavalier et choisit ses aventures ; elle sait reprendre son sexe à l’occasion et en faire bon usage ; sous son double costume alterné, elle trouble les cœurs et disparaît un beau jour, en oubliant quelques perles de son collier près d’un oreiller où elle aurait mieux fait de ne point aller dormir. Ce sujet, Gautier l’a développé avec cet amour de la forme littéraire et ce respect de la langue qui, en toute son œuvre, se reconnaissent. Ce que l’on peut y relever d’incongru est excusé par la

  1. Longtemps après, la critique férue de bons principes en est encore suffoquée : « L’immoralité du détail, l’extravagance du plan, la verve et l’éclat du style appelèrent sur cet étrange roman l’attention de la critique. Rarement, même en ces années de délire, on avait été plus fou, plus impertinent, plus bravache. » (Dictionnaire de la Conversation, 1859, t. X, p. 173, col. 2.)