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THÉOPHILE GAUTIER.

menter ce que l’on y peut faire avec trop d’argent les élégances de la vie parisienne lui semblent médiocres ; une fille entretenue se tue de désespoir en se voyant abandonnée par lui lorsqu’il retourne vers les bords du Gange, après avoir dit son fait à la civilisation moderne : « Adieu, vieille Europe qui te crois jeune ; tâche d’inventer une machine à vapeur pour confectionner de belles femmes, et trouver un nouveau gaz pour remplacer le soleil — je vais en Orient, c’est plus simple. » Il me semble que si Fortunio est si sévère, c’est qu’il a mal choisi son monde. Les impressions qu’il reçoit sont mauvaises, car elles ressortent naturellement de la compagnie qu’il a fréquentée, la pire de toutes, celle des désœuvrés qui gaspillent une force sociale énorme, l’argent, sans même savoir à quoi on pourrait l’utiliser ; celle des belles filles qui trafiquent d’elles-mêmes et vendent au plus offrant ce que nul ne peut acheter : l’amour.

Fortunio s’en va, mécontent de son expérience et déçu des illusions qu’il s’était faites. Aussi ne se gêne-t-il pas et lâche-t-il de temps en temps quelques aphorismes qui sonnent singulièrement à nos oreilles européennes. Il émet des « opinions subversives » et il « sape les bases », comme disaient les journaux ministériels de l’époque, lorsque l’on n’était pas de leur avis. — « Il ne hait que ses amis et se sentirait assez porté vers la philanthropie si les hommes étaient des singes ; il a de la peine à se retenir de couper la tête des bourgeois qui l’ennuient ; il maudit la civi-