Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
LE CONTEUR.

lisation qui n’a d’autre but que de jucher sur un piédestal l’aristocratie des savetiers et des fabricants de chandelles ; le bon Dieu sera obligé, un de ces matins, de venir repétrir la boule du monde, aplatie par ces populations de cuistres envieux de toute splendeur et de toute beauté qui forment les nations modernes ; les journaux contiennent des considérations sur l’état des cabinets de l’Europe, écrites par des gens qui n’ont jamais su lire et dont on ne voudrait pas pour valets de chambre. »

« Démagogie littéraire », s’écrierait M. de Pongerville ; non pas ; mais boutades d’écrivain, fantaisie d’artiste, cri de l’homme ennuyé qui s’imagine qu’il serait mieux là où il n’est pas. « Fortunio est un hymne à la beauté, à la richesse, au bonheur, les trois seules divinités que nous reconnaissons ; » c’est Gautier qui le dit dans sa préface, et l’on peut le croire ; mais il ne s’aperçoit pas que l’hymne chanté ressemble à un de profundis. Dans son roman, la beauté ne suffit pas pour être aimée ; la richesse reste impuissante, parce qu’elle ne vise que des satisfactions matérielles ; le bonheur ne se rencontre point, parce qu’on le demande à des jouissances éphémères. Derrière les divinités qu’il évoque et auxquelles il sacrifie, une quatrième s’est glissée, hostile aux autres, toujours près de venir et invincible : la satiété. Considéré sous cet aspect, le livre est moral ; mais on n’y vit que les théories exprimées, sans se rendra compte du rôle lugubre joué par les personnages, de l’ennui qui les dévore et du dénoue-