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LE CONTEUR.

il se sent emporté dans des régions fantastiques qui n’ont rien de commun avec celles où Talcool conduisait Hoffmann et Edgar Poë : ce qu’il en raconte donne envie d’y aller.

Elles sont en prose, ces nouvelles, mais à chaque ligne on comprend qu’elles ont été écrites par un poète :

Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes.


Elles ont beau se dérouler souvent dans le royaume de l’impossible, elles ont l’air d’être vraies, car elles ont été intellectuellement vécues. Le sujet, je l’ai déjà dit, est toujours d’une extrême simplicité, mais l’écrivain a su le parer et l’envelopper, parfois jusqu’à le faire disparaître, d’une forme élégante et touffue. L’imagination ne s’est pas ménagée et la monture de la pierre précieuse est souvent plus précieuse que la pierre elle-même. C’est un art que savourent les délicats, mais que n’apprécie pas toujours le public, qui préfère les péripéties dramatiques aux raretés de l’expression et à l’ingéniosité de la pensée. Reste à savoir si, pour un véritable « amateur », un bijou ciselé par Benvenuto Cellini ne vaut pas mieux qu’un diamant, fût-ce le Régent. En art, c’est moins la matière que l’outil que l’on doit considérer. Volontiers je comparerais les nouvelles de Théophile Gautier à ce petit palais qu’il vit sur le Grand Canal de Venise et qu’il eut envie d’acheter : « Il y a entre deux grands bâtiments un palazzino délicieux qui se compose d’une fenêtre et d’un balcon ; mais quelle