Page:Du Camp - Théophile Gautier, 1907.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
LA JEUNESSE.

incomplets, ceux dont la volonté fut plus énergique que le talent, les auteurs que la mode a quelque temps soutenus sur ses ailes fragiles, les romanciers, les historiens, que sais-je encore, les officiers de l’armée littéraire ; enfin tout en haut, presque dans les cieux, le poète prenant la place qui lui était due pendant sa vie et qu’on ne lui accorde qu’après sa mort. À combien d’écrivains de haute volée ne pourrait-on pas appliquer l’épitaphe que Gombaud a rimée pour Malherbe :

L’Apollon de nos jours, Malherbe, ici repose ;
Il a vécu longtemps sans se louer du sort.
En quel siècle ? — Passant, je n’en dis autre chose.
Il est mort pauvre…. Et moi je vis comme il est mort.

Mille causes secondaires exercent une influence souvent tyrannique sur l’opinion et repoussent les écrivains vivants loin du rang que leur assignait un mérite supérieur. L’avenir seul, dégagé des préoccupations du temps où ils jetaient leurs œuvres parmi les hommes, est assez indépendant pour leur donner un numéro d’ordre dans le panthéon des gloires de l’esprit humain. Réclames et dénigrements, chutes et succès, sifflets et bravos, l’avenir n’en tient compte ; tôt ou tard, la réputation, avilie ou exagérée, prend un niveau définitif, d’elle-même, sans que rien puisse le modifier. C’est là le travail, presque inconscient, à coup sûr désintéressé, de la postérité, qui dure plus ou moins longtemps, selon le degré et l’intensité du talent. Il me semble qu’à