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THÉOPHILE GAUTIER.

gros public et même la bonne compagnie les a traités : « un garçon de belles lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine », disait ce cancanier de Tallemant des Réaux. C’est ainsi que l’on en parle lorsqu’ils sont encore de ce monde,

Quitte, après un long examen,
À leur dresser une statue
Pour l’honneur du genre humain.

Théophile Gautier sut promptement que l’on considère la poésie comme une sorte d’agréable superfétation, inutile en soi, bonne au plus à divertir quelques désœuvrés, suffisamment récompensée par le renom qu’elle fait naître, indigne, en somme, d’un homme sérieux et ne méritant que des encouragements stériles. À cet égard, quelles que soient la diversité d’origine et la divergence des principes, les gouvernements sont d’accord. Le Stello d’Alfred de Vigny a beau sortir de la vérité historique, il n’en reste pas moins philosophiquement vrai. Théophile Gautier en fit une expérience qui dura près de quarante ans, pendant lesquels il tourna la meule du journalisme afin de ne pas manquer du pain quotidien. Ni la dynastie de Juillet, ni la seconde République, ni le second Empire, où cependant il comptait des amis, ne s’imaginèrent qu’une place suffisamment rétribuée — une sinécure, si l’on veut — était due à un écrivain qui n’attendait que d’être libéré d’une besogne inférieure pour étendre toute l’envergure de ses ailes. Il avait accepté son sort