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THÉOPHILE GAUTIER.

Il avait beau aimer la France passionnément, il y semblait dépaysé. Il n’est pas jusqu’à son teint mat, sans nuance rosée, qui n’eût une apparence étrangère et ne convînt à quelque Abencérage égaré dans notre civilisation. Son extérieur même semblait ainsi protester contre le milieu où il était forcé de vivre. À le voir dans sa jeunesse aussi bien que dans son âge mûr, on sentait qu’il était appelé vers les clartés et les nonchalances de l’Orient. Il trouvait notre ciel terne et notre climat détestable, au moindre souffle de vent, il grelottait. Elles sont fréquentes, dans son œuvre, les invocations à la chaleur et au soleil. Sous notre ciel souvent brumeux, dans la demi-obscurité froide de nos journées d’hiver, il avait le mal du pays, le mal d’un pays tiède et lumineux.

Il n’éprouva jamais ce que Chateaubriand appelle « la délectable mélancolie des souvenirs de la première enfance », car ses années, au début de la vie, ne furent point heureuses. Il regrettait son lieu natal, avec une persistance et une intensité rares à cet âge où généralement les impressions n’ont qu’une vivacité éphémère. Il raconte qu’ayant entendu des soldats parler le patois gascon, qui fut le premier langage qu’il eût bégayé, il voulut les suivre, afin de s’en aller avec eux vers la ville où il était venu au monde et dont la pensée l’a toujours ému. « Le souvenir des silhouettes de montagnes bleues qu’on découvre au bout de chaque ruelle et des ruisseaux d’eaux courantes qui, parmi les verdures, sillonnent