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LA JEUNESSE.

comme s’il lisait de loin dans un livre visible pour lui seul, il récita les cent cinquante-huit vers de la pièce, ne se reprenant pas une fois, n’hésitant jamais et ne se trompant pas d’une syllabe. Nous étions étonnés, on lui dit : « Tu as donc appris cela par cœur ? » il riposta : « Non, je l’ai lu ce matin, en déjeunant. »

Cette mémoire, habilement entretenue par la direction que son père imprimait aux études scolaires, une sorte d’assiduité passive qui le rendait attentif aux classes du collège, quelque dose d’amour-propre, firent de Théophile Gautier un élève remarquable. Eut-il son nom inscrit sur les palmarès ? fut-il embrassé et couronné par son proviseur, aux sons de la musique, sur l’estrade solennelle des distributions de prix ? Je n’en sais rien ; il était fort discret sur cette époque de son existence ; il n’aimait point à en jaser, car elle ne lui avait laissé que des souvenirs maussades ; toutes les fois que la conversation se portait sur les années de collège, il se hâtait de la rompre. Il a écrit : « Ces années, je ne voudrais pas les revivre. » S’il eut des succès, de ces succès scolaires qui font naître tant d’espoir dans les cœurs paternels et qui n’ont jamais rien présagé de l’avenir, il les accepta avec indifférence et n’en fut pas plus fier. Je doute même qu’il ait complètement terminé ses humanités et je crois qu’il dédaigna d’obtenir le diplôme de bachelier ès lettres, qui dut lui paraître un inutile parchemin : certificat d’études, rien ce plus ; il n’en avait cure et se certifiait par lui-même,