car il avait acquis déjà bien plus de notions précieuses que ne lui en eussent enseignées ses professeurs. Il était encore un simple écolier qu’il avait lu les vieux poètes français, fort dédaignés à cette époque où Malherbe et Boileau régnaient en maîtres, et qu’il avait assez étudié Rabelais pour en pouvoir réciter des chapitres entiers sans commettre d’erreur. Sa curiosité d’enfant intelligent et de futur grand lettré l’avait mieux servi que les leçons de la pédagogie universitaire.
Théophile Gautier n’était plus un enfant chétif, au teint olivâtre que l’internement avait failli tuer ; c’était un jeune homme solide, bien en chair, dont le goût pour les exercices de corps avait singulièrement développé la vigueur. Il excellait à la natation, à la boxe, à l’équitation, à la canne, et même à la savate ; il en tirait quelque gloriole et ne refusait l’assaut à personne. Un jour, dans je ne sais plus quel jardin public, il donna sur « la tête de turc » un coup de poing qui marqua cinq cent vingt livres au dynamomètre. Bien souvent je l’ai entendu s’en vanter et dire : « C’est l’action de ma vie dont je suis le plus glorieux. » Jusque dans un âge où généralement on ne s’essaye plus au rôle d’hercule, il ne lui déplaisait pas de démontrer que sa force musculaire, toujours considérable, n’avait point été appauvrie par les années. Si son caractère calme et surtout bienveillant ne l’avait rendu pacifique, il eût été redoutable ; mais nul homme ne fut moins querelleur : toute dispute violente lui semblait un outrage à la