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LA JEUNESSE.

dignité humaine, car, philosophiquement, il considérait la placidité comme une vertu.

C’est incidemment que Théophile Gautier se livra aux lettres, ou, pour parler plus exactement, que les lettres s’emparèrent de lui. Il était né artiste, cela n’est pas douteux, artiste de la ciselure, de la ligne et de la couleur. Quelque effort qu’il eût fait sur lui-même ou qu’on lui eût imposé, il n’aurait jamais pu répudier les dons que la nature lui avait prodigués, jamais il n’aurait réussi à se contraindre, jamais il ne serait parvenu à réduire au silence les facultés supérieures qui parlaient en lui. L’art le réclamait. Dans toute carrière officielle ou bourgeoise, il serait mort à la peine, frappé d’impuissance, égaré dans le labyrinthe du moindre détail et désemparé. La peinture l’attirait ; elle fut pour lui comme un premier amour, dont le souvenir ne s’attiédit jamais ; pendant toute sa vie, il s’en préoccupa et bien souvent, dans ses heures de découragement, il regretta de n’avoir pas obéi à sa première impulsion. Le poète de la Comédie de la mort et des Émaux et Camées, l’écrivain de Tra-los-Montes, d’Italia, de Fortunio, de la Morte amoureuse, d’œuvres dont le nom est dans toutes les mémoires, débuta par être un rapin. Il entra dans l’atelier de Rioult, situé près du collège Charlemagne, ce qui lui permettait d’aller peindre une anatomie, d’après le modèle vivant, en sortant d’écouter une leçon sur l’harmonie préétablie de Leibnitz ou sur le médiateur plastique de Cudworth.