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LA JEUNESSE.

Des racoleurs choisis avec discernement furent expédiés dans les ateliers. Comme les visiteurs des grands bons cousins, c’est-à-dire des carbonari, ils devaient désigner les chefs d’escouade auxquels ils confieraient, non pas la baguette de coudrier qui donnait accès dans les ventes secrètes, mais la carte rouge timbrée du mot espagnol Hierro (fer), qui ouvrirait les portes de la Comédie-Française au soir de la première représentation, de la première bataille de Hernani. Gérard de Nerval fut un des sergents recruteurs chargés de former le bataillon sacré qui devait vaincre ou mourir ; à l’atelier de Rioult, il remit six cartes d’entrée à Théophile Gautier : « Tu réponds de tes hommes ? — Par le crâne dans lequel Byron buvait à l’abbaye de Newstead, j’en réponds ! » Se tournant vers ses camarades de palette, Gautier dit : « N’est-ce pas, vous autres ? » On lui répondit d’une seule exclamation : « Mort aux perruques ![1] »

Fier de la mission de confiance qu’il venait de recevoir, ne répudiant aucune responsabilité et voulant donner à son attitude une solennité digne des hautes fonctions qui lui étaient dévolues, Théophile Gautier se fit faire un gilet — un pourpoint — cramoisi « qu’il avait pris plaisir à composer lui-même ». De ce gilet rouge — qui, en réalité, était rose vif — inauguré au son du cor de Hernani, il a été parlé jadis ; on en a

  1. Je tiens l’anecdote de Pradier, qui la racontée devant moi à Victor Hugo, au mois de juillet 1851 ; Théophile Gautier était présent, ne l’a pas démentie et s’est contenté de dire : « Ah ! c’était le bon temps ! »