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THÉOPHILE GAUTIER.

parlé beaucoup, on en a parlé longtemps, on en parle encore. Un jour, je disais à Théo : « Tu as été célèbre très jeune ? » Il me répondit avec cette sorte d’indifférence qui parfois donnait tant de saveur à ses plaisanteries : « Oui, très jeune, à cause de mon gilet. »

De cette première représentation du premier drame romantique en vers[1], où Gautier, ses longs cheveux répandus sur les épaules, flamboyait, la poitrine couverte d’un satin éclatant, je ne dirai rien, car il l’a racontée lui-même dans les moindres détails. Ce fut, bel et bien, une bataille, où l’on ne ménagea ni les injures ni les gourmades. Une erreur d’audition produisit une mêlée telle, que l’on faillit baisser le rideau et congédier les combattants. Lorsque Hernani dit à Ruy Gomez qui vient de livrer dona Sol au roi don Carlos :

Vieillard stupide ! il l’aime.


une partie des spectateurs, au lieu de « vieillard stupide ! », entendit : « vieil as de pique ! » Les classiques

  1. Hernani (25 février 1830) fut le début du drame romantique en vers ; une année auparavant (10 février 1829), Alexandre Dumas avait fait représenter le premier drame romantique en prose : Henri III et sa cour, qui fut reçu à la Comédie-Française sous la dénomination singulière de : tragédie en cinq actes. Dans le courant de 1829, Henri III fut joué quarante-six fois ; dans le courant de 1830, Hernani fut joué trente-neuf fois. C’était un succès considérable pour cette époque où les chemins de fer, n’existant pas, n’amenaient pas à Paris, comme aujourd’hui, la masse de provinciaux et d’étrangers qui renouvelle chaque soir le public des théâtres.