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LA JEUNESSE.

qui fut un grand poète, c’était Pierre — pardon — c’était Petrus Borel. On disait, sans rire : « Le père Hugo n’a qu’à bien se tenir, il sera réduit en poudre dès que Petrus débutera ! » Petrus a débuté, et, sauf ses amis, personne ne s’en est aperçu. On était, dans l’école romantique, tellement saisi par l’extérieur des hommes et des choses, que Petrus Borel devait ses grandeurs futures à son teint brun, à ses cheveux noirs, à son nez aquilin, à son corps sec et nerveux qui le faisaient pareil au type créé par Victor Hugo pour le personnage de Hernani. Ressembler à Jean d’Aragon, grand maître d’Avis, duc de Ségorbe, marquis de Monroy et n’être pas un grand homme, que dis-je ? le plus grand des hommes, c’était une hérésie que nul membre du Cénacle ne pouvait concevoir. Trente ans après que le Cénacle était dispersé, mort, anéanti sauf dans le soutenir de quelques fidèles, Gautier me disait, en levant les bras vers le ciel : « Et dire que j’ai cru à Petrus ! » Il ne fut pas le seul : aussi quelle déconvenue lorsque l’on vit paraître les Rhapsodies, Champavert et enfin Madame Putiphar. Primitivement, il était architecte ; il n’eut point raison de délaisser l’équerre et l’encre de chine pour la plume et l’encre de la petite vertu. Ses débuts n’ayant point tenu ce qu’ils n’avaient jamais promis, il obtint d’aller vivre en Algérie, sous-préfet ou quelque chose d’approchant.

Dans le Cénacle, on méprisait l’École des beaux-arts ; élèves et professeurs étaient conspués d’une voix unanime ; être admis au « salon » était peu re-