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THÉOPHILE GAUTIER.

çaise, qui devient espagnole ou italienne, selon les jours, avant d’entrer dans la fausse tradition grecque et latine dont le romantisme l’a enfin délivrée.

Non seulement il fait une analyse, rapide quoique complète, des œuvres principales de ses poètes, mais il dessine ceux-ci de pied en cap, et d’un trait si net qu’on le croirait tracé d’après nature : François Villon, avec ses allures d’un truand de la petite flambe, sans souci pourvu que son verre soit plein et pensant parfois avec mélancolie à la corde qui saura ce qu’il pèse ; Cyrano, la moustache en croc, sous son énorme nez, et la flamberge au vent ; Chapelain montrant « sa tête austère, sobre, avec quelques grandes rides scientifiques pleines de grec et de latin, des rides qui ressemblent à des feuillets de livre » ; Scarron ratatiné, replié sur lui-même, riant quand la souffrance ne lui arrache pas des gémissements, soigné par sa femme, la belle Françoise d’Aubigné, qui sera reine de France et regrettera « sa bourbe » au milieu des splendeurs de Versailles ; tous ânonnant leurs poèmes, récitant leurs bouquets à Chloris, déclamant leurs tirades, grimaçant leurs parodies, défilent devant le lecteur, qui est étonné de leur ressemblance, quoiqu’il ne les ait jamais vus, tant ils sont vivants sous la plume dont l’art les a ressuscités.

Sa probité littéraire est égale à son exactitude ; malgré sa déférence pour les maîtres, pour ceux mêmes dont le génie s’est imposé à l’admiration des siècles, il n’hésite pas à les dépouiller de certains larcins auxquels ils se sont laissés entraîner et qu’il