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LE CRITIQUE.

poètes de Jeanne d’Arc : « il y a là dedans la matière d’un romancero ».

Cette étude sur des poètes dédaignés et trop longtemps laissés en oubli offre cette particularité qu’elle est faite d’une façon impersonnelle et avec une très sereine intelligence historique. Certes, Théophile Gautier est de son temps, il n’a ni coupé sa chevelure, ni dépouillé le fameux gilet rouge ; à certaines allusions, à quelques ironies, on reconnaît l’adepte convaincu des théories nouvelles ; mais ce n’est pas en vertu de ces théories qu’il juge les auteurs dont il parle, car elles n’existaient point au jour de leur célébrité. Dans Molière il ne voit pas un prédécesseur de la Révolution française, et Malherbe ne lui apparaît point comme un défenseur du « trône et de l’autel ». Il apprécie leurs œuvres selon les idées — erreurs ou vérités — qui avaient cours à leur époque ; il est sobre de commentaires, il bafoue la sottise, fait valoir le talent et ne s’ingénie pas, comme tant de critiques l’ont fait, à découvrir sous ce que le poète a dit ce que le poète n’a pas voulu dire. En un mot, il ne tombe jamais dans cette absurdité de juger des ancêtres d’après les tendances et les aptitudes de leurs arrière-petits-neveux. En revanche, il tient grand compte du milieu social, de l’histoire et même de l’historiette ; il sait que l’écrivain et le public agissent l’un sur l’autre, il ne nie pas la puissance souvent tyrannique de la mode et constate, avec sa sagacité ordinaire, l’influence exercée par les littératures étrangères sur la littérature fran-