Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/260

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d’hôtel, qui, en effet, nous assembla autour d’une table où était servi le souper de Job. Le souper n’en fut pas moins gai ; mais la pauvre Brancas tomba dans un abandon dont on ne s’aperçut que parce qu’elle avait mis sur son assiette toute une planche de salade pour lui servir de contenance. L’abbé de Sade lui demanda pourquoi elle mangeait sa salade si tristement elle n’en put donner de bonnes raisons, et on se contenta de celles qu’elle donna. On parla du souper de M. de Rieux, on dit qu’il avait été détestable, et que c’était le cuisinier que venait de prendre madame d’Aiguillon qui l’avait fait ; madame de Rochefort[1] dit qu’elle en était surprise, parce que vous lui aviez assuré qu’il était beaucoup meilleur que le mien. On répondit par rire, en disant que depuis huit jours il avait fait à souper chez madame d’Aiguillon à empoisonner le diable, et qu’il était auparavant chez M. de Livry, où l’on ne pouvait manger de rien. Le souper fini, nous achevâmes notre quadrille, et puis nous allâmes nous promener. Nous chantâmes beaucoup d’Ussé, Cereste et moi ; et nous partîmes avec promesse de ma part d’y revenir une fois cette semaine, et d’y aller coucher de jeudi en huit, qui sera à leur retour de Versailles.

Vous conviendrez qu’on ne peut pas tirer un meilleur parti d’un souper, ni en parler plus longuement. Je compte que vous aurez fait comme quand vous lisez les romans, que vous en aurez passé les trois quarts pour voir vite si nous serons sortis de table.

Madame de Maurepas va mardi à Athis, je compte y aller souper mercredi, lui donner à souper vendredi, aller aujourd’hui à Orly, et le reste à la Providence. Madame de la Vallière était assez triste, peu fêtée : bon procédé de l’avoir ; son mari est à Choisy. Pour moi, je l’ai priée pour vendredi ; elle me fait amitié, et j’aime cela. On parla beaucoup à table de la harangue de M. de Richelieu, dont l’abbé de Sade nous dit des morceaux par cœur.

Pour de la politique, je ne vous en dirai rien ; car je n’ai vu personne. D’Ussé causa un moment avec madame de Maurepas, mais on vint les interrompre : ainsi il n’en put rien savoir. Cereste avait aussi longtemps causé avec elle.

Je ne vous parlais pas du voyage de Bretagne. Le maréchal dit qu’il n’a jamais compté y mener sa petite femme, et que

  1. Fille du maréchal de Brancas, sœur de M. de Forcalquier. (L.)