Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/259

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resta pas, et les quatre derniers s’en allèrent. Les dames étaient à la promenade. Le maréchal me reçut assez bien, pas trop pourtant ; je le trouvai fort appesanti, quoi qu’ils en puissent dire. Le Forcalquier me fit beaucoup d’amitiés et me raconta comment tout cela s’était passé. Quelque juste que fut cette grâce, cependant il m’avoua qu’il avait eu une sorte d’inquiétude, mais qui fut bientôt calmée[1]. Pour madame de Brancas, c’est un personnage essentiel dans toute relation : elle avait été à Versailles, elle avait vu madame de Mailly qui ne savait rien (et effectivement elle n’avait rien dit au maréchal, ni au Forcalquier, qui l’avaient vue auparavant, et elle ne l’apprit que par les compliments qu’elle vit que l’on faisait devant elle à sa toilette). Madame de Brancas la vit donc. Vous comprenez qu’elle rassembla toute la politique dont elle avait besoin dans de pareilles circonstances. Madame de Mailly lui demanda si on ne verrait pas souvent madame de Forcalquier à la cour : elle éloigna cela avec une circonspection… que madame de Forcalquier était encore bien jeune (du ton de Du Châtel), qu’elle faisait compagnie au maréchal, qu’elle vivait beaucoup dans sa famille ; enfin il n’y a rien de si beau que tout ce qu’elle dit, et elle ne nous en cacha pas la moindre circonstance. Les dames arrivèrent de la promenade, et à l’instant commença la fête des chapeaux c’est-à-dire que madame de Forcalquier nous les prit tous, et les fit voler de la terrasse en bas, d’environ cinq cents toises. Je m’approchai de madame de Rochefort, à qui je fis de grands reproches de ne m’avoir rien fait dire par vous : grandes amitiés de sa part, et puis ensuite grandes confidences. Je lui dis que d’Ussé commençait à prendre quelque ombrage de l’abbé de Sade. Je demandai où en était l’italien : il ne me parut pas que le précepteur ni la langue eussent fait de grands progrès. L’abbé relaye un peu le chevalier, et, excepté qu’il n’a point d’habit d’ordonnance, cela est assez du même ton. Nous jouâmes, madame de Maurepas, l’abbé de Sade, le Forcalquier et moi. Il me parut que madame de Maurepas et moi n’étions pas les plus forts ; cependant il n’y eut que moi qui perdis : arriva enfin un homme extrêmement triste et qui ressemble à la crécelle qui annonce Ténèbres : c’était le maître

  1. M. de Mirepoix, qui aspirait aussi au titre de duc, n’avait pu voir avec indifférence les préférences dont M. de Forcalquier était l’objet, et il avait dû se remuer de façon à lui donner de l’inquiétude. V. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 185. (L.)