Page:Du Deffand - Correspondance complète de Mme Du Deffand avec ses amis, tome 1.djvu/267

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des gens plats et sots, et le plus grand bien dont je jouisse en leur absence, c’est de n’y plus penser. Ils me sont cependant bons à quelque chose, à me faire voir la Pecquigny de meilleur œil. Je suis aujourd’hui bien moins noire qu’hier ; premièrement parce que j’ai bien dormi, et secondement c’est que je commencerai bientôt les eaux, qui, jointes au régime que j’observe, me feront vraisemblablement grand bien. J’ai reçu aujourd’hui une lettre de madame de Luynes, dont je suis fort contente ; quand vous la verrez, ne lui dites point que la Pecquigny me déplaît ; il est dangereux de lui dire ce qu’on pense ; ce sont des armes qu’on lui donne contre soi, et dont elle fait usage selon son caprice ; dites-lui seulement qu’il ne vous paraît aucun engouement de ma part, que j’en parle fort bien, mais que vous doutez qu’il se forme jamais une liaison fort intime entre nous.

Mandez-moi toutes les nouvelles, même les politiques ; cela m’établit une supériorité dont je profite pour ne me point lever de mon fauteuil, pour ne point faire de visites, etc.

Il est arrivé ici deux trains : l’un est une madame de Montigny, trésoriére, dit-on, des États de Bourgogne ; l’autre M. et madame le Ny : ceux-là débarquent dans la minute ; je ne connais ni leurs titres ni leurs dignités.

Je n’ai nul regret aux Lettres de Bayle, je les ai lues, mais je ne me console point d’avoir lu Paméla[1] : ce serait une vraie ressource ici. S’il y a quelque nouveauté, je vous prie de me l’envoyer ; vous ne sauriez croire le plaisir que cela me fera. J’ai vu avec douleur que j’étais aussi susceptible d’ennui que je l’étais jadis ; j’ai seulement compris que la vie que je mène à Paris est encore plus agréable que je ne le pouvais croire, et que je serais infiniment malheureuse s’il m’y fallait renoncer : concluez de là que vous m’êtes aussi nécessaire que ma propre existence, puisque, tous les jours, je préfère d’être avec vous à être avec tous les gens que je vois : ce n’est pas une douceur que je prétends vous dire, c’est une démonstration géométrique que je prétends vous donner.

Il y a une phrase commencée et abandonnée tout de suite

  1. Paméla, ou la Vertu récompensée, par Richardson (Londres, 1740, 2 vol.), traduit en 1742 par l’abbé Prévost, 4 vol. in-12. Ce roman faisait grand bruit, non pas tant à cause du genre sentimental qu’il inaugurait, qu’à cause de la polémique dont il était l’objet. (V. Journal de police, à la suite du Journal de Barbier, t. VIII, p. 158.) (L.)