Page:Du Flot - Les mœurs du tigre, récit de chasse, 1886.djvu/14

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Les rabatteurs s’avançaient sur deux rangs en formant le cercle et lâchant les chiens parias en toute liberté. Ces animaux, fort laids de race, sont d’une bravoure admirable, et, comme on ne craint pas de les sacrifier, vu leur nombre, on les pousse vivement sur les grands fauves. Il va sans dire que ceux-ci en font un effroyable carnage. À ces parias, l’un de nos compagnons, un lieutenant de cipayes, avait adjoint deux magnifiques bouledogues de pure race galloise, et Steadman en avait un grand crève-cœur, n’ayant cessé de prévenir son ami du sort réservé aux pauvres chiens. Mais le lieutenant Blake était persuadé que ses chiens coifferaient le tigre comme un vulgaire sanglier.

Il n’était pas loin d’une heure et demie, quand un cri poussé par l’un des coolies parvint jusqu’à nous. Nous distinguâmes le mot aoua, qui signifie vent, d’où nous conclûmes que l’animal, averti par les émanations, nous fuyait à belle distance.

Il ne pouvait aller bien loin. Nous atteignions, en effet, l’extrémité opposée de la jungle, et les champs cultivés reprenaient au-delà. Il était certain que le bâgh allait se montrer.

Il se montra, en effet. Je n’oublierai jamais ce spectacle. J’avais trente-trois ans et n’avais point rencontré de tigres en liberté. Celui-ci était splendide, de la plus grande taille, plein de courage et de férocité. Il était déjà vieux. Quand il nous apparut, nous l’enfermions entre la jungle et la plaine cultivée, dans une sorte de clairière d’où la