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LA JUMENT MAIGRE


— Tiens, interrompit encore le joufflu, ils sont toujours louches, tes aventuriers, Bideau ; pourquoi ça ?

— Tais-toi, Gabik, ils sont louches ou borgnes, c’est vrai et c’est pas ma faute : il ne faut pas te faire de peine, mon gros, car ils voient clair tout de même.

Pour lors, Fanch, qui allait sur ses 21 ans, voulait se marier richement et dit un jour, après les grâces, au Pillaouer :

— Mon père, moi je veux me marier, et je veux cent écus pour épouser la fille à Mathurin de Kergus, qui a des yeux gros comme ceux de la vache rouge.

— Cent écus tu n’auras pas, répondit le vieux ; un nigaud comme toi n’a besoin ni de femme ni d’argent. Tout ça c’est trop dangereux pour les sots.

— Oh ! que non, dit Fanch en louchant.

Là-dessus il se retira en méditant quelque tour dans sa caboche fêlée. Le tour ne fut pas bien long. Il prit, dans sa paillasse, trois pièces de six réales qu’il avait économisées sou à sou depuis trois ou quatre ans, et s’en alla sur le soir, malgré la pluie, jusqu’au moulin du Drollar à une demi-lieue, où demeurait un meunier qui passait pour un fameux sorcier.

Qu’allait-il faire par là, le pauvre louchard ? Acheter de la farine de méteil ou de blé noir, par un temps, un temps de voleur ? Allait-il dire ses prières à la croix du Ster, ou bien couper des louzou dans la lande hantée, si la lune montrait sa figure pâle, au-dessus du Bugul-an-Diaul ? Non, mes amis. Fanch n’allait pas acheter de farine : il avait assez de la galette rancie que le vieux lui faisait avaler tous les soirs. Non, il