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FANTÔMES BRETONS


yeux pourront à peine voir le reflet du ciel sur la mer. N’importe : elle court sur le rivage ; ce reflet lui suffira…

Ainsi Anna, cédant à une impulsion irrésistible, parcourut les grèves sans trop savoir ce qu’elle faisait.

Du reste, ces promenades nocturnes n’étaient point rares pour elle depuis l’absence de son mari. Elle connaissait parfaitement tous les détours, tous les caps, tous les promontoires de la côte. Enfant de la grève elle se riait de ces obstacles comme du vent et de la tempête ; c’est pourquoi elle marchait à l’aventure, les yeux fixés sur les flots obscurs, dans le seul espoir de voir au loin briller une lumière consolatrice.

Cependant il arriva que, l’obscurité étant devenue complète, Anna Morel fut obligée de s’arrêter au milieu d’un dédale de grands rochers qui se dressaient, comme des fantômes géants, autour d’elle. Impossible de distinguer les objets à la distance de quatre ou cinq pas : partout des ravins, des pierres, des galets qui roulent sous les pieds, de noirs récifs que la mer couvrira dans peu de temps, et à moins d’une demi-encablure les flots, les flots qui montent déjà en roulant sourdement sur le sable. Mais, après avoir bien examiné la silhouette des falaises découpées sur le ciel, et s’être orientée à leur vue, elle se remit en marche d’un pas rapide.

Tout à coup une exclamation, poussée par une voix vibrante, retentit dans les cavernes du rivage. Cette voix était sinistre ; ce n’était pas l’appel d’un ami. L’infortunée, frappée par un pressentiment subit, se