Aller au contenu

Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

180
FANTÔMES BRETONS


Un moment atterrée, Anna Morel parut se résigner : oui, se résigner à peu près comme la perdrix blessée qui cache la tête sous son aile à l’approche du vautour. Le bandit se plaça devant elle, les bras croisés, et continua en ricanant :

— Ah ! ah ! ah ! c’est drôle, tout de même ; moi, j’aurais quasiment donné un doigt pour lui dire un mot, un tendre mot, là, face à face, et c’est elle-même qui m’en procure l’occasion. Je suis sûr et certain, Anna, que tu es venue me chercher. Hein ! on a donc conservé un brin d’affection solide pour son Nantais, ah ! ah !… et puisque Julien s’est laissé affaler…

— Taisez-vous, Corfmat, s’écria la jeune femme en bondissant comme si un ressort l’eût enlevée de dessus le sable où elle gisait, taisez-vous, ne parlez pas de mon mari, je vous le défends.

— Là, là, voyons, que diable ! on peut s’entendre entre amis, et nous en sommes… Et puis, tu ne voudrais pas m’empêcher de te dire combien je regrette ton Julien, un si bon matelot, qui sans moi serait mort de faim autrefois. Hein ! faut se souvenir un peu et pas faire l’ingrate.

Ce cruel dialogue n’était entrecoupé que par les gémissements de l’épouse frappée au cœur et par le sourd battement des vagues.

… — Mais je suis bon enfant, moi ; je vaux mieux que vous autres, y compris tous les Madec et même les Tanguy de Houat (deux vieux gabariers que je coulerai un jour ou l’autre, c’est sûr) ; je ne suis pas sans cœur, moi, et je n’entends pas que tu restes