Aller au contenu

Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

23
L’HOMME EMBORNÉ


quatre pas, il était obligé de s’appuyer aux fossés. Quoiqu’il eût cherché un chemin détourné, il rencontra une bande de polissons du village qui cueillaient des lucets dans le bois et le reconnurent.

— Tiens, dit l’un d’eux, voilà Mathurin le Nigaud, qui vient par ici. Holà ! Mathurin ! comme tu es engraissé depuis l’autre jour !

— Comme tu es enflé, vieux fainéant !

— C’est le cidre qu’il a bu à la dernière foire de Saint-Méen, qui bout dans son ventre, apparemment.

— Te voilà bossu par devant, vieux licheur, dit un des vagabonds en le poussant.

— Où vas-tu donc avec ta bosse ? reprit un autre. Tu devrais au moins nous la montrer pour un sou.

Et les coquins, en tenant ces méchants propos, se mirent tous à pousser le malheureux, qui roula, comme une pierre qu’il était à moitié, dans le fond d’un bourbier où ils le laissèrent se débattre. Il y serait mort sans doute, si le bon ermite de la forêt ne fût venu à passer par là. Voyant ce gros homme se rouler dans la mare, l’ermite ne perdit pas son temps à parlementer, comme on le fait souvent à la vue d’un malheureux qui se noie. Il le saisit par les jambes, et le tira, non sans de grands efforts, sur le bord de la mare.

— Voilà un homme bien lourd, se disait le saint ermite, aussi lourd qu’un rocher. Mais il n’est pas mort… Tiens, c’est Matho, de Gaël. Il faut que tu aies bu une fameuse quantité d’eau, mon pauvre ami, pour avoir enflé comme cela.