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FANTÔMES BRETONS


rompu, stupéfait, stupide. Il se secoue comme un cheval éreinté sous le harnais. Rien, rien ne bouge : la pierre est greffée sur ce tronc vivant.

— Malédiction ! hurle le voleur ; qui viendra me délivrer ? — Personne. — J’étouffe, je meurs ; au secours ! — Personne. — Je n’ai voulu que plaisanter. À l’aide, ami Jacques ; reprends ton sillon et ta borne. — Personne : la nuit est sombre et personne ne passe sur le chemin.

Bientôt, brisé par la fatigue et la terreur, Mathurin s’affaissa avec son fardeau, les pieds dans le trou qu’il avait creusé. Ainsi les traîtres finissent d’ordinaire par choir dans l’abîme ouvert par leur perfidie.

Le lendemain pourtant il fallut bien se tirer de là, ne fût-ce que pour manger. Mais que faire avec une borne sur l’estomac ? Impossible de rester au pays, de se montrer au village, ainsi accouplé à une affreuse borne. Après bien des efforts, Mathurin réussit enfin à gagner son logis, où il se reposa, en se régalant du seul morceau de galette moisie qui lui restait. Alors, il lui vint une bonne pensée : il se dit que, si quelque diable ou sorcier l’avait emborné, comme c’était probable, il n’y avait que Dieu qui pouvait le désemborner. Or ce raisonnement était assez juste pour un homme aussi borné, n’est-il pas vrai ?

Il se mit donc en route pour la forêt voisine, où demeurait un saint ermite, dont les bonnes gens disaient des choses merveilleuses. Pour cacher sa borne, Mathurin avait pris sa blouse la plus grande et ressemblait ainsi à un tonneau ambulant. Tous les