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FANTÔMES BRETONS


voyez, obéissait volontiers. Puis son compagnon, après s’être reposé à l’ombre, reprenait sa marche avec lui, trop heureux de voir filer ainsi sans peine la pierre bornale du côté de Gaël en Bretagne.

Pour en finir, ils arrivèrent au pays. Dame ! on fut bien étonné à Gaël, comme vous pouvez le penser, de voir Isaac Laquedem en personne, et Mathurin qui le suivait, un peu essoufflé, c’est vrai, mais encore plus content de n’être plus emborné.

En peu de temps, il y eut une foule de gens, des mendiants et surtout des petits polissons, qui se mirent à leur suite, pour voir ce que le grand Juif allait faire en compagnie de Mathurin le Nigaud… Ce qu’il fit ? C’est bien simple. Dès qu’il fut arrivé auprès du champ de Jacques, le Juif tira la borne de sa poche, comme on tire son mouchoir ou son couteau, au grand ébahissement du populaire, et la planta tout simplement à son ancienne place. Mathurin, dit-on, poussa un soupir, mais personne n’y prit garde. Finalement, avant de partir, le Juif-Errant (tout en marquant le pas avec frénésie) distribua force cinq sous à chacun des mendiants et des petits polissons de la paroisse, sans oublier le sonneur et le bedeau. Par malheur, moi, je fus oublié, pour une bonne raison : c’est que mon père n’était pas né. Enfin, le grand Juif s’écria, d’une voix épouvantable, en prenant sa course : « Attention, vous autres, à ne plus déranger les bornes !! »

Les dérange-t-on plus ou moins en ce pays, depuis cette époque mémorable ?… Personne ne répond… Ainsi nous laisserons la réponse à faire… à monsieur