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L’HOMME EMBORNÉ


— Il faut la mettre, mon fils, où vous l’avez prise.

— Ouf ! soupira notre homme, désemborné tout à coup. Je respire ; merci, Dieu ! me voilà libre !!

En effet la borne venait de se détacher de la poitrine du voleur repentant et pardonné. Mais pour remettre la pierre bornale à sa place, il n’en fallait pas moins la porter, et Mathurin se trouvait à plus de cent lieues de Gaël. Le Juif-Errant allongeait déjà ses longues et maigres jambes ; il allait prendre sa course, rapide comme l’ouragan, lorsque son nouvel ami lui fit part de son embarras.

— Si ce n’est que cela, dit Isaac en mettant la borne dans sa grande poche, partons, partons tout de suite, car j’entends une voix de tonnerre qui me crie : « Marche ! marche encore ! » Suivez-moi donc, si c’est possible.

— Mais connaîtriez-vous par hasard le chemin de Gaël ? reprit naïvement Mathurin.

— Je connais toutes les routes, mon ami, toutes les mers et tous les pays de l’univers. C’est moi qui poursuis le voleur et l’assassin dans l’ombre des nuits ; c’est moi qui m’attache à leurs pas, avec le remords que je porte ; c’est moi qui décèle les coupables, quand Dieu me l’ordonne, c’est moi ; … mais il faut nous hâter ; marchons plus vite.

Mathurin, qui n’avait plus sa borne sur le cœur, courait comme un cerf. La joie lui donnait des ailes, et la graisse ne le gênait pas ; et quand il n’en pouvait plus, il priait son ami trop pressé de faire un tour dans la plaine. Isaac, qui était très-bon enfant, comme vous