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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/79

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LA FOLLE DE SUCINIO


La mer fut affreuse pendant tout le mois de janvier ; je priais Dieu, chaque nuit, de garder mon mari loin de ces côtes couvertes d’écueils. En février, l’embellie de la mer parut s’annoncer un peu et me rendit espoir et courage ; puis, enfin, une lettre, timbrée de Lisbonne, me fut remise un soir. Je reconnus l’écriture de Jean : il vivait ; c’était assez, c’était trop de bonheur ! Je ne pouvais lire à travers mes larmes. Je voulus courir chez Julie Mizan, malgré la nuit, qui rendait le chemin dangereux. J’arrivai pourtant à la maison blanche : j’embrassai Julie, que je n’avais pas vue depuis quatre ou cinq jours ; je lui montrai ma lettre ; elle détourna les yeux. Je lui lus, oui, je lus, pour ainsi dire, la preuve de l’existence de Claude et de Jean ; elle ne fit paraître aucune émotion, si ce n’est qu’elle devint plus triste tout à coup… Ne pouvant faire mieux, je communiquai les bonnes nouvelles à une vieille femme qui servait Julie, et je m’éloignai, partagée entre la joie, l’étonnement et la douleur.

La lettre de mon mari m’informait qu’un coup de vent, suivi de fortes avaries, l’avait forcé de relâcher à Lisbonne ; que, du reste, le voyage était heureux ; que tout allait bien et qu’il espérait revenir au pays dans trois ou quatre semaines. Je relus cent fois la lettre de Jean et je finis par y trouver je ne sais quelle vague tristesse. Les lignes où il était question de Claude me semblèrent surtout avoir été écrites sous l’impression de quelque peine secrète dont il ne voulait point parler. Mais le cœur d’une femme, d’une femme qui attend dans l’angoisse, pénètre, devine, pressent tout ce qui