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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/78

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FANTÔMES BRETONS


le crains davantage, d’amères pensées, des regrets peut-être, relativement à son union avec Mizan, qui venaient accabler cette faible créature ? Malgré la position dans laquelle je me trouvais moi-même, je donnais tous mes soins à mon amie. J’essayais surtout de relever son courage ; je lui parlais de tout ce qu’elle aimait : de ses chères grèves du Morbihan, où nous avions tant couru toutes petites, où Jean Quéven nous dénichait des œufs de goëland ; de l’Île-aux-Moines, où restaient ses meilleures amies, qu’elle reverrait sans tarder. Mes paroles semblaient lui faire du bien ; elle souriait et pleurait à la fois. Puis je croyais devoir lui parler de Claude, de Jean, du Saint-Gildas, du retour de nos marins. Ah ! cette pensée, si douce pour moi, paraissait (j’ose à peine le dire), lui étreindre le cœur, contracter son sourire, tarir ses larmes… Pauvre créature ! elle dépérissait à vue d’œil, et moi-même bientôt, abattue par des rêves cruels ou des nuits sans sommeil, je ne trouvai plus de bonnes paroles pour consoler la malheureuse Julie.

Trois mois s’étaient déjà presque écoulés depuis le départ du Saint-Gildas ; nous étions à la fin de décembre, et le retour du navire, après avoir touché aux Açores en revenant de Marseille, avait été annoncé pour les derniers jours d’octobre. La saison des tempêtes était venue. Le soleil ne se montrait plus au dessus de la mer. Le vent du large faisait rouler les vagues sur la pointe de Saint-Jacques, avec un bruit dont les femmes de marins connaissent seules l’horreur… Quel hiver nous passâmes dans de telles transes !