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Page:Du Laurens de la Barre - Fantômes bretons.djvu/83

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LA FOLLE DE SUCINIO


Sa mort, je l’avoue, ne me causa ni surprise, ni chagrin. Je sentais d’instinct qu’il était l’auteur de ma ruine, et ce ne fut pas sans peine que je retournai à sa demeure, pour assister sa veuve infortunée. Oh ! pourquoi Dieu me permit-il de franchir ce seuil de désolation ! J’aurais versé, toute ma vie, des larmes moins amères, et le souvenir des derniers moments de mon mari eût été moins déchirant pour mon cœur !

Je me rendis seule, un soir, à la maison de Julie. Dieu ! dans quel état je la retrouvai ! Elle était assise sur sa couche. La vieille femme, dont j’ai parlé, Catherine, filait dans un coin obscur. La malade, pâle et amaigrie, murmurait, joignait les mains, priait et gémissait tour à tour. Elle ne me reconnut pas, sans doute, car, s’adressant à des ombres invisibles, et au milieu des discours les plus incohérents, elle disait : — Claude, Claude, rends-lui son argent ! — Puis elle ajoutait en se débattant : — À moi, Claude, sauve ton capitaine ! à moi, je vais périr !…

La vieille femme vint auprès du lit pour arranger les couvertures et supplia Julie de garder le silence. — Elle est tout à fait folle à présent, je le crains, me dit Catherine ; mais cela ne peut durer longtemps, dans l’état où elle se trouve. Ces accès ont commencé presque subitement, la veille de la mort de son mari. Il était au plus mal ; alors j’ai entendu l’homme appeler doucement, par son nom, la pauvre créature, qui grelottait auprès du foyer. Cela m’a bien étonnée, car il ne pouvait guère la souffrir depuis son retour. Elle a eu de la peine à se rendre auprès de lui, et