Cette précaution est souvent nécessaire, surtout dans les temps de sécheresse ; car l’eau qui fait le cours du canal, n’étant, ainsi qu’on l’a remarqué, qu’une partie d’un rivière médiocre, et ne pouvant fournir que cinq à six pieds de hauteur, on a beau tâcher d’en retarder le cours, et même de l’arrêter en faisant faire des coudes par les fréquents tours et détours qu’ils ont donnés au canal, il arrive qu’en certaines années moins pluvieuses, il est réduit à trois pieds d’eau, ce qui sans doute ne suffit pas pour faire passer les grosses barques impériales, qui portent les denrées et les tributs des provinces à la cour. Ainsi dans ces quartiers sujets à cet inconvénient, on a eu recours à ces sortes d’écluses, si toutefois elles méritent ce nom, puisqu’elles n’ont point d’autre bassin que le lit du canal même. Leur nombre au reste n’est pas si grand qu’on le dit, et ne passe pas quarante-cinq. Leur largeur n’a pas plus de 30 pieds. Les bords du canal ne sont garnis de pierre de taille qu’en peu d’endroits. On a besoin de le réparer souvent dans les endroits, où la terre sablonneuse et peu liée s’éboule aisément ; et quelquefois aussi près des étangs, lesquels enflés par les pluies extraordinaires, enfoncent les digues, qui ne sont presque partout que de terre, et apparemment de celle-là même qu’on a tirée en creusant le canal.
La difficulté a été plus grande au-delà du fleuve Hoang ho. Car pour tirer le canal depuis son bord austral jusqu’au grand fleuve Yang tse kiang, il a fallu faire de grandes digues de pierre, et d’autres ouvrages semblables, afin de résister aux eaux d’un grand lac qui est à l’ouest, et de la rivière Kuai ho, qui s’enfle si fort par l’abondance des pluies, qu’après avoir ravagé la campagne, elle vient fondre avec impétuosité sur le canal. Ces ouvrages sont près de Hoai ngan fou ; ce sont les meilleurs qu’on ait fait pour le canal. Il y en a aussi d’assez bons vers Yang tcheou fou, qui servent comme de quais à cette belle ville.
Au-delà du grand fleuve Yang tse kiang, à commencer par Tchin kiang fou, le canal, qui est continué de là par Tchang tcheou fou, Sou tcheou fou, et qui reçoit les divers canaux de la province de Tche kiang, est d’autant plus commode, qu’il n’est point embarrassé d’écluses, ni de semblables ouvrages. L’égalité du terrain qui est plein et uni, l’abondance de l’eau qui n’a nulle pente, et la nature du sol, ont donné des avantages aux entrepreneurs du canal, qu’il est difficile de rencontrer ailleurs.
Barques impériales.
Ce qu’il y a de plus beau à voir, c’est ce grand nombre de belles et grosses barques impériales, divisées par bandes, et commandées par des mandarins particuliers, qui marchent avec beaucoup d’ordre, et qui sont chargées de tout ce qu’il y a de meilleur dans les provinces. On dit ordinairement que le nombre de ces barques, entretenues aux frais de l’empire, va jusqu’à dix mille : c’est l’opinion commune, qui est conforme à ce qu’on lit dans plusieurs livres imprimés.
Cependant les mandarins, qui veillent sur les transports des denrées, et qui les comptent au passage, ont souvent assuré qu’ils n’en avaient jamais vu venir que quatre ou cinq mille. Mais cela même est surprenant, quand on considère la grandeur de ces barques, dont plusieurs sont de 80 tonneaux,