Page:Du halde description de la chine volume 1.djvu/445

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qu’il soupçonnait d’être à la tête des mécontents, pour les punir avec la dernière sévérité.

Comme il ne pouvait se cacher jusqu’à quel point il s’était rendu odieux, il s’imagina que tous les entretiens roulaient sur sa conduite : c’est pourquoi il défendit sous peine de la vie à ses sujets, de s’entretenir ensemble, et même de se parler à l’oreille. On voyait tous les habitants de la capitale, marcher dans les rues les yeux baissés, dans un morne silence, et affectant de s’éviter les uns les autres.

Un des plus fidèles ministres de l’empereur, nommé Tchao kong, lui ayant fait inutilement de fréquentes remontrances sur la dureté de son gouvernement, se hasarda encore de lui représenter, qu’il n’était pas sur le trône pour faire des malheureux ; qu’il était plus aisé d’arrêter un torrent impétueux, que de retenir la langue ; que les obstacles qu’on y oppose, ne servent qu’à en augmenter la violence ; et que le silence forcé, auquel il avait réduit ses sujets, annonçait quelque chose de plus triste et de plus affreux, que la liberté qu’ils avaient de se plaindre.

La prédiction de ce sage ministre, ne fut que trop véritable. L’année cinquante-deuxième du cycle, le peuple au désespoir, et semblable à un torrent qui a rompu ses digues, fit une soudaine irruption dans le palais pour se défaire du tyran. Au premier bruit du tumulte, Li vang prit la fuite et sauva sa vie : mais toute sa famille fut massacrée par cette populace désespérée.

Il n’y eut que le plus jeune de ses enfants qui fut épargné, parce que Tchao kong l’avait fait emporter secrètement dans sa maison, pour le dérober à la vengeance de ces mutins. La précaution eût été inutile, si la fidélité de ce ministre ne lui eût pas suggéré un expédient qui est sans exemple, pour conserver ce précieux reste de la famille impériale.

Le peuple étant averti qu’un fils de l’empereur avait échappé à sa fureur et qu’il était caché chez Tchao kong, assiégea aussitôt la maison de ce ministre, et demandant avec menaces le jeune prince, il se disposait déjà à y entrer par force.

Le parti que prit Tchao kong, après avoir souffert un rude combat que lui livraient tour à tour, et sa fidélité, et la tendresse paternelle, fut de livrer son propre fils à la place du prince. Ces furieux l’égorgèrent sur-le-champ à ses yeux.

Cependant Li vang errant et fugitif traînait une vie obscure, et quelque chose que fît Tchao kong pour adoucir l’esprit des peuples, et le rétablir sur le trône, il ne put jamais y réussir, ce qui le rendit vacant pendant quelques années.