Hiang yu, l’autre général, dont j’ai déjà parlé, qui avait été aussi envoyé pour détrôner l’empereur, ne put retenir son dépit, de ce que Lieou pang lui avait ravi par sa célérité et par son adresse, la gloire et la principauté, à laquelle il aspirait. Comme c’était un homme brutal et cruel, et qu’il se trouvait à la tête d’une armée très forte et très aguerrie, Lieou pang fut assez heureux pour l’empêcher d’en venir à un éclat : une entrevue de ces deux généraux, ménagée par le père de Hiang yu, les raccommoda et ils entrèrent ensemble dans la capitale.
Hiang yu, peu satisfait de la clémence et de la douceur de Lieou pang, et voulant assouvir sa haine contre les princes de Tsin, fit mettre le feu à la ville et au palais impérial, fouilla dans les tombeaux pour en tirer les ossements de ces princes, et les jeter dans des lieux inconnus, et tua de sa main le prince détrôné, que Lieou pang avait toujours traité avec respect depuis sa disgrâce.
Un grand nombre de soldats du dernier empereur, qui avaient été incorporés dans ses troupes, ayant désapprouvé ces cruautés par leurs murmures, il leur fit ôter adroitement leurs armes, et les ayant fait entourer par son armée, ils furent impitoyablement égorgés par ses ordres. On eut horreur de l’auteur de tant de massacres ; et des actions si barbares servirent beaucoup à relever la justice, la clémence, et la modération de Lieou pang, et à le faire chérir des soldats et des peuples.
Le tyran n’était pas au terme de ses cruautés : s’étant rendu absolu dans l’État de Han, il avait mis des garnisons dans la plupart de ses places ; et il aspirait depuis longtemps à l’empire ; il crut se l’assurer en donnant la mort à son souverain, de qui il tenait toute l’autorité qu’il avait ; sa vue était aussi de se venger de la préférence que ce prince avait donné sur lui à Lieou pang, en le récompensant de la principauté de Tsin.
Plein de ces idées, il s’avança vers la ville de Kieou kiang de la province de Kiang si, où était le roi de Tsou. Ce prince, pour faire honneur à son général, vint à sa rencontre, et à l’instant il fut assassiné. Lieou pang, touché du malheur de ce prince son bienfaiteur, lui fit faire les obsèques les plus magnifiques, ce qui lui concilia encore plus l’amitié des peuples, et son armée grossit considérablement des troupes, qui se joignirent à lui, pour venger la mort de leur souverain.
Depuis ce temps-là il y eut guerre ouverte entre ces deux généraux, qui ne cessèrent de se disputer l’empire ; et après dix-sept batailles, où la victoire penchait, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, Lieou pang en gagna une enfin qui fut décisive ; l’armée de son rival fut détruite sans ressource, et il se tua de désespoir pour ne pas tomber entre les mains de son vainqueur.
Un soldat, qui trouva son corps étendu par terre, lui coupa la tête, et l’apporta à Lieou pang ; on la mit sur le fer d’une pique