Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/103

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Ce spectacle, dans des villes aussi policées que celles de la Chine, surprend fort un Européen : mais c’est proprement à la Chine qu’on peut dire, lucri bonus odor ex re qualibet. Les Chinois n’en sont pas plus étonnés qu’on l’est en Europe de voir passer des porteurs d’eau. Les paysans viennent l’acheter dans les maisons, ils cherchent à se prévenir les uns les autres, et donnent en échange du bois, de l’huile et des légumes. Il y a dans toutes les rues des commodités pour les passants, dont les maîtres tirent avantage par ces échanges.

Cependant quelque sobre et quelque industrieux que soit le peuple de la Chine, le grand nombre de ses habitants y cause beaucoup de misère. On en voit de si pauvres que ne pouvant fournir à leurs enfants les aliments nécessaires, ils les exposent dans les rues, surtout lorsque les mères tombent malades, ou qu’elles manquent de lait pour les nourrir. Ces petits innocents sont condamnés en quelque manière à la mort presque au même instant qu’ils ont commencé de vivre : cela frappe dans les grandes villes, comme Peking, Canton ; car dans les autres villes, à peine s’en aperçoit-on.

C’est ce qui a porté les missionnaires à entretenir dans ces endroits très peuplés, un nombre de catéchistes, qui en partagent entre eux tous les quartiers, et les parcourent tous les matins, pour procurer la grâce du baptême, à une multitude d’enfants moribonds.

Dans la même vue on a quelquefois gagné des sages-femmes infidèles, afin qu’elles permissent à des filles chrétiennes, de les suivre dans les différentes maisons où elles sont appelées : car il arrive quelquefois que les Chinois se trouvant hors d’état de nourrir une nombreuse famille, engagent ces sages-femmes à étouffer dans un bassin plein d’eau, les petites filles aussitôt qu’elles sont nées ; ces chrétiennes ont soin de les baptiser, et par ce moyen ces tristes victimes de l’indigence de leurs parents, trouvent la vie éternelle dans ces mêmes eaux, qui leur ravissent une vie courte et périssable.

C’est cette même misère qui produit une multitude prodigieuse d’esclaves, ou plutôt de gens qui s’engagent à condition de pouvoir se racheter, ce qui est plus ordinaire parmi les Chinois ; car parmi les Tartares, ils sont véritablement esclaves ; un grand nombre de valets, et de filles de service d’une maison sont ainsi engagées ; il y en a aussi à qui on donne des gages comme en Europe.

Un homme vend quelquefois son fils, et se vend lui-même avec sa femme, pour un prix très modique ; mais s’il le peut, il se contente d’engager sa famille. Souvent un grand mandarin tartare ou chinois tartarisé, c’est-à-dire, rangé sous la bannière tartare, qui a pour domestiques une foule d’esclaves, est lui-même l’esclave d’un seigneur de la cour, auquel il donne de temps en temps des sommes considérables. Un Chinois pauvre, mais qui a du mérite, dès qu’il se donne à un prince tartare, peut compter d’être bientôt grand mandarin ; c’est ce qui devient plus rare sous l’empereur régnant. Si on le destitue de son emploi, il retourne auprès de son maître, pour exécuter ses ordres dans certaines fonctions honorables.