Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/185

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négligé, qu’ils affectent de témoigner la douleur qu’ils ressentent, d’avoir perdu ce qu’ils avaient de plus cher.

Ils lavent rarement les corps morts, mais ils revêtent le défunt de ses plus beaux habits, et le couvrent des marques de sa dignité : ensuite ils le mettent dans le cercueil qu’on lui a acheté, ou qu’il s’était fait construire pendant sa vie : car il est étonnant de voir jusqu’où va la prévoyance des Chinois, pour ne point manquer de cercueil après leur mort : tel qui n’aura pour tout bien que neuf ou dix pistoles, en emploiera une partie à se préparer un cercueil, quelquefois plus de vingt ans avant qu’il en ait besoin ; il le garde comme le meuble le plus précieux de sa maison, et il le considère avec complaisance ; quelquefois même le fils se vend ou s’engage, pour avoir de quoi procurer un cercueil à son père.

Les cercueils des personnes aisées sont faits de grosses planches épaisses d’un demi-pied et davantage, et se conservent longtemps : ils sont si bien enduits en dedans de poix et de bitume, et si bien vernissés en dehors, qu’ils n’exhalent aucune mauvaise odeur. On en voit qui sont ciselés délicatement, et tout couverts de dorures ; il y a des gens riches qui emploient jusqu’à trois cents, cinq cents, et même mille écus, pour avoir un cercueil de bois précieux, orné de quantité de figures.

Avant que de placer le corps dans la bière, on répand au fond un peu de chaux : et quand le corps y est placé, on y met ou un coussin, ou beaucoup de coton, afin que la tête soit solidement appuyée, et ne remue pas aisément : le coton et la chaux servent à recevoir l’humeur qui pourrait sortir du cadavre ; on met aussi du coton ou autres choses semblables, dans tous les endroits vides, pour le maintenir dans la situation où il a été mis. Ce serait selon leur manière de penser, une cruauté inouïe d’ouvrir un cadavre, et d’en tirer le cœur et les entrailles pour les enterrer séparément : de même que ce serait une chose monstrueuse de voir, comme en Europe, des ossements de morts, entassés les uns sur les autres.

Il est défendu aux Chinois d’enterrer leurs morts dans l’enceinte des villes, et dans les lieux qu’on habite ; mais il leur est permis de les conserver dans leurs maisons, enfermés dans des cercueils tels que je les ai dépeints : ils les gardent plusieurs mois, et même plusieurs années comme en dépôt, sans qu’aucun magistrat puisse les obliger de les inhumer.

On peut même les transporter dans d’autres provinces, et c’est ce qui se pratique, non seulement parmi les personnes de qualité, lesquels meurent hors de leur patrie dans les charges et dans les emplois qui leur ont été confiés : mais encore parmi le peuple qui est à son aise, et qui meurt dans une province éloignée, comme il arrive souvent aux gens de commerce. Un fils, vivrait sans honneur, surtout dans sa famille, s’il ne faisait pas conduire le corps de son père au tombeau de ses ancêtres, et on refuserait de placer son nom dans la salle où on les honore. Quand on les transporte d’une province à une autre, il n’est pas permis sans un ordre de l’empereur, de les faire entrer dans les villes, ou de les faire passer au travers, mais on les conduit autour des murailles.