en a reçu suffisamment, on le lève, et avec une plume d’oie on en balaye doucement le fond, et l’on fait tomber le noir sur une feuille de papier bien sec et bien ferme. C’est ce qui sert à faire l’encre fine et luisante. La meilleure huile fait le noir plus luisant, et par conséquent l’encre la plus estimée et la plus chère. Le noir qui ne tombe point avec la plume, et qui est fortement attaché au couvercle, est plus grossier, et on l’emploie à faire l’encre médiocre. On le détache en le raclant, et on le fait tomber dans un plat.
Après avoir ainsi levé le noir, on le broie dans un mortier, en y mêlant du musc, ou de l’eau odoriférante avec de bonne colle liquide, pour unir les parties. Les Chinois se servent ordinairement de la colle, qu’ils appellent nieou kiao, colle de bœuf. Quand ce noir a pris un peu de consistance, et qu’il commence à être réduit en pâte, on le jette dans des moules qu’on a fait faire, selon la forme qu’on veut donner aux bâtons d’encre ; on y imprime avec un cachet fait exprès, les caractères ou les figures qu’on veut, en bleu en rouge, ou en or, et on les fait sécher au soleil, ou à un vent sec.
On assure qu’à la ville de Hoei cheou, où se fait l’encre qui a le plus de réputation, les marchands ont grand nombre de petites chambres, où ils tiennent des lampes allumées depuis le matin jusqu’au soir : chaque chambre est distinguée par l’huile qu’on y brûle, et par conséquent par l’encre qu’on y fait.
Cependant bien des Chinois sont persuadés que le noir de fumée, qui se recueille des lampes où l’on brûle de l’huile de gergelin, n’est employé qu’à faire une espèce d’encre particulière, qui est de prix, et que vu la quantité étonnante qui s’en débite à bon marché, on doit y employer des matières combustibles plus communes, et moins chères.
Ils prétendent que le noir de fumée se tire immédiatement de vieux pins, et que dans le district de Hoei tcheou, où se fait la meilleure encre, on a des fourneaux d’une structure particulière pour y brûler ces pins, et pour conduire la fumée par de longs canaux, dans de petites loges bien fermées, et dont les dedans sont tapissés de feuilles de papier. La fumée introduite dans ces loges, s’attache de tous côtés aux murs et au lambris, et s’y condense. Après un certain temps on ouvre la porte, et l’on fait une abondante récolte de noir de fumée. En même temps que la fumée de ces pins qu’on brûle, se répand dans les loges, la résine qui en sort, coule par d’autres canaux qui sont à fleur de terre.
Il est certain que la bonne encre, dont il se fait un si grand débit à Nan king, vient du district de Hoei tcheou, et que celle qu’on fait ailleurs, ne lui est pas comparable. Peut-être les habitants de ce canton-là ont-ils un secret, qu’il est difficile d’attraper : peut-être aussi que le terroir et les montagnes de Hoei tcheou fournissent des matériaux plus propres à donner de bonne suie, qu’il ne s’en trouve ailleurs. Il y a quantité de pins ; et dans quelques endroits de la Chine, ces arbres fournissent une résine bien plus pure et plus abondante que nos pins d’Europe. On voit à Peking des pièces de bois de pin venues de Tartarie, qu’on a mis en œuvre depuis soixante ans, et