Comment donc se peut-il faire que des princes, qui craignent tant les hommes et l’infamie, se livrent à leurs passions et aux vices ? C’est comme s’ils ne pouvaient souffrir l’humidité, et qu’ils voulussent loger dans un appartement bas et humide. S’ils ont tant de soin de leur réputation, que ne prennent-ils le moyen unique de l’établir, et de la conserver ? Il n’y en a point d’autre, que de vaincre ses mauvaises inclinations, que d’estimer la vertu, que de faire la guerre aux vices, que d’honorer les savants, que d’élever aux premières dignités les personnes sages et vertueuses ; que de profiter de la tranquillité publique, pour établir des lois sages et utiles. Un prince de ce caractère se rendra toujours redoutable à ses ennemis, et s’attirera l’estime et la vénération des autres princes.
Mais qu’arrive-t il ? Maintenant que l’empire est tranquille, et qu’on commence à y goûter les douceurs de la paix, ils ne songent qu’à se livrer aux plaisirs, et à s’amollir de plus en plus par le luxe et l’oisiveté. Faut-il s’étonner si un royaume gouverné par un tel prince paraît chancelant ; si les peuples murmurent ; et si l’on est à la veille d’avoir de nouveaux ennemis sur les bras ?
Il n’y a personne, continue Mencius, qui n’ait reçu de la nature une certaine tendresse de cœur, qui le rend sensible aux misères d’autrui. Un prince, dont les passions n’ont point étouffé ce penchant naturel, et qui compatit aux afflictions de ses peuples, n’a pas plus de peine à gouverner son royaume, que s’il le tenait entre ses mains.
Mais comment discerner ce penchant secret de la nature, cette sensibilité naturelle qui naît avec nous ? Un exemple vous le fera connaître. Vous voyez tout à coup un enfant prêt à tomber dans un puits, aussitôt votre cœur est touché ; vous volez à son secours. Ce n’est pas alors la réflexion qui vous détermine : vous ne pensez pas à mériter la reconnaissance de son père et de sa mère, ni à vous procurer un vain honneur : vous agissez par un mouvement purement naturel. Dans les événements imprévus, et lorsqu’on n’a point le temps de réfléchir, ni de délibérer, c’est la simple nature qui agit. Il n’en est pas de même dans d’autres conjonctures, ou avant que d’agir, on a le temps de se consulter ; il peut y entrer du déguisement et de la dissimulation.
Ce que je dis de la compassion, dit encore Mencius, je le dis des autres vertus ; de la piété, de l’équité, de l’honnêteté, de la prudence : nous en avons les semences et les principes dans notre cœur ; si nous avions soin de les suivre, nous serions continuellement en garde contre les passions, qui seules peuvent les détruire, et chaque jour nous nous perfectionnerions de plus en plus.
Un disciple de Confucius nommé Tseë lou, avait un si grand désir de la perfection qu’on lui faisait le plus sensible plaisir, quand on l’avertissait de quelque défaut. L’empereur Yu donnait sur-le-champ des marques de son respect et de sa reconnaissance, à celui qui lui donnait un sage conseil. Chun, ce grand homme, regardait la vertu, non pas comme le bien d’un particulier, mais comme un bien commun, et qui appartenait à tous les